Caroline Scheufele: « Je n’avais aucune idée d’où venait mon or. Maintenant que je le sais je dors mieux »

Video Interview Caroline Scheufele

Lors du salon Baselworld, Chopard a annoncé qu’au bout de sept ans, son voyage vers le luxe durable avait atteint un nouveau jalon. Depuis juillet 2018, toute sa production est composée d’or éthique et de pierres précieuses de source responsable, ce qui modifie entièrement sa chaîne de traçabilité.

Auteur Par Eleonor picciotto

Quel effet cela fait-il d’être la première marque de l’industrie à s’être impliquée à ce point dans le développement durable?

C’est un voyage qui a commencé il y a sept ans. J’ai rencontré Livia Firth à Los Angeles, lorsque son mari a reçu un Oscar pour Le discours d’un roi arborant une belle montre L.U.C. Elle m’a expliqué avec passion son engagement dans Eco- Age, entreprise très active dans la mode écoresponsable. Puis elle m’a demandé d’où venait mon or. Je pensais que c’était d’UBS ou de Crédit Suisse, mais je n’en avais aucune idée. Et avant même la fin de ma réponse, je savais où elle voulait en venir. A ce moment-là, j’ai été gênée de ne pas y avoir pensé plus tôt.

C’est ainsi que vous avez démarré la collection en or Fairmined. Mais à l’époque, il n’y avait pas assez de matière première pour transformer toutes vos pièces?

La plupart des artisans avec qui nous travaillons sont de très petites structures, qui doivent remplir de nombreuses obligations pour obtenir les certifications… L’utilisation de l’or Fairmined commence par l’éducation des mineurs. Pourquoi doivent-ils changer ce qu’ils ont toujours fait? Cela prend du temps, vous ne pouvez pas le faire du jour au lendemain! Cette année, à Bâle, nous avons pu annoncer que nous allions travailler exclusivement avec de l’or éthique incluant de l’or Fairmined et de l’or recyclé.

Comment pensez-vous que cela changera les perspectives du client?

Nous travaillons dans le luxe et ce domaine doit être transparent, surtout quand il s’agit de savoir comment votre pièce a été faite et avec quels matériaux. Vous voulez vous assurer qu’aucun enfant n’a été impliqué dans le processus. C’est un sujet très vaste, mais je pense que nous y arriverons progressivement. C’est pourquoi on appelle cela un voyage: c’est un long chemin qui nous conduit à travers le monde. Pendant que nous parlons, l’horlogerie et la bijouterie s’affairent! Vous créez de la transparence de toutes les manières et les gouvernements doivent être impliqués!

Dans le changement de votre chaîne de traçabilité, quelle est la différence entre les montres et les bijoux?

C’est plus difficile pour les bijoux. L’industrie du diamant est très contrôlée. Nous travaillons exclusivement avec le Responsible Jewellery Council. Pour l’horlogerie, nous avons besoin de matières premières: or, platine ou acier. Toutes les pièces de nos montres sont fabriquées en Suisse et en interne, le contrôle est donc facile. Peu de choses viennent de l’extérieur. Quand tout se passe dans l’entreprise, c’est simple. C’est la chaîne d’approvisionnement en amont qui est compliquée.

Quel est le plus gros défi que vous ayez relevé en entamant ce voyage?

L’étape la plus complexe a été la première: le changement en tant que tel. Nous avons dû dire à tous nos salariés que nous allions changer. Imaginez les deux premiers kilos que nous avons reçus. Cet or a été traité de manière spéciale. Il est entré en production comme un client VIP qui visitait l’entreprise! Nous avons dû convaincre nos ateliers et équipes de production que c’était l’avenir. Nous avons appliqué le changement dans toutes nos manufactures (à Fleurier et en Allemagne) et nous avons pu le faire parce que nous sommes une entreprise familiale et que mon frère aime aussi la nature et soutient ce projet. Les Suisses sont très conscients du respect de l’environnement.

Pensez-vous que d’autres marques pourraient adhérer à ce programme?

Je pense que les choses sont en train de bouger. Peut-être que grâce à ce qu’on fait, qui prouve que c’est possible, d’autres le feront. Maintenant, les banques qui achètent l’or ont des programmes d’investissement philanthropique pour le développement durable et beaucoup de gens vont dans ce sens. C’est un enjeu social. Et si les banques s’impliquent, elles auront peut-être encore plus de pouvoir et les choses iront plus vite. Quand vous avez un gros paquebot, il met longtemps à s’arrêter et faire demi-tour, mais une fois qu’il l’a fait, il va rapidement en sens inverse!

Vous avez commencé avant tous les autres. Quelle est la quête ultime?

C’est comme parler de médecine: ils cherchent comment soigner. La quête est de soigner.

Et vous serez à l’origine de ce changement dans l’industrie.

Le luxe, c’est un bijou ou une montre que vous achetez ou dont vous tombez amoureux. Si vous savez que la pièce a été produite de manière totalement traçable dès le départ, c’est encore mieux. Je pense que cela ajoute beaucoup de valeur. Lorsque Livia Firth m’a posé la question, j’ai dit oui. Je n’ai même pas réfléchi une seconde. Je discute généralement les décisions de gestion avec ma famille, mais pas cette fois. Je savais que mon frère adhèrerait immédiatement. Aucune discussion n’a été nécessaire et maintenant je dors mieux!

Saviez-vous à l’époque que vous iriez si loin dans le processus?

Non! Pas du tout. Nous avons bien avancé, mais il reste du chemin à parcourir! Nous pouvons être fiers, toute l’équipe peut être fière maintenant que les gens font passer le mot. Et quand on en parle aux clients, ils ne sont pas au courant. Cela exige un investissement mais au final, il sera payant. Je n’ai aucun doute là-dessus.

Vous avez déjà réalisé des bijoux, des montres, un voyage éthique… Que manque-t-il?

J’ai encore du chemin à parcourir. Une chose est sûre: j’aimerais mener ce voyage aussi loin que possible et autant que je le peux. Et c’est encore un gros projet car il englobe beaucoup de choses.

Vous devez être cohérente dans vos choix pour qu’on vous fasse confiance et pour éviter la réputation de faire les choses à moitié pour l’image et à moitié pour le marketing.

Mais cela n’a jamais été ma première idée, je n’y ai jamais pensé. Nous ne cherchons pas à nous démarquer de nos collègues. C’est pour nous, pour les futures générations, pour la planète, et nous avons absorbé tous les coûts nous- mêmes, sans faire payer plus cher une montre ou une bague de fiançailles durable.

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