Belge d’origine, Tatiana Verstraeten lance à 34 ans sa marque éponyme de haute-joaillerie après avoir fait ses armes aux accessoires de la maison Chanel. A seulement trois mois d’existence, elle a déjà un showroom Place Vendôme. Rencontre avec celle qui figurait dans la sélection des designers phare de la deuxième édition du salon GemGenève qui a eu lieu début Mai.
Les opposés s’attirent
Tatiana Verstraeten représente le contraste dans toute sa splendeur. Tantôt un rouge flamboyant sur les lèvres pour détourner le regard d’un décolleté plongeant tantôt en survêtement, baskets aux pieds, les cheveux relevés en pagaille avec son casque de musique autour du cou. A elle seule, c’est un mélange de mode et de design, de femme fatale et de femme enfant, au caractère aussi trempé que naïf qui rêve de faire porter un de ses colliers à Beyoncé au même titre qu’elle aurait adoré accessoiriser les robes Givenchy d’Audrey Hepburn. Un minois aux allures félines, une sorte de portrait croisé entre l’Américaine Amy Adams et la Nicole Kidman des années 90.
Formée en tant qu’ingénieur en finance à Solvay, prestigieuse université de business située à Bruxelles, Tatiana Verstraeten débute sa carrière chez le styliste Anthony Vacarello dont son but premier est d’aider les jeunes designers comme lui à se lancer. Elle s’occupera du développement de toute la marque jusqu’à ce que Karl Lagerfeld lui propose de d’intégrer Chanel en 2011 au cœur du studio de création afin de dessiner les chapeaux et bijoux accessoires. Pendant huit années, elle sera en charge de créer les collections gravitant autour des 15 collaborateurs du grand designer. Imprégnée de plusieurs univers avant de se lancer dans ce qui deviendra le sien, Tatiana Verstraeten lance sa marque de haute-joaillerie éponyme lors de la semaine de la haute-couture parisienne en Janvier dernier.
En respectant les techniques de joaillerie traditionnelle au service d’une joaillerie ultra contemporaine, elle insuffle une nouvelle forme de joaillerie. Elle ouvre dans la foulée un showroom Place Vendôme et devient à ce jour la plus jeune marque de joaillerie de cette grande place, détrônant la marque Poiray qui en s’y installant en 1975 avait hérité du statut de « Jeune Fille de la place ». Contrairement aux grandes maisons qui puisent dans leur archives et dont le nom des designers est souvent tu, Tatiana Verstraeten incarne la femme des bijoux qu’elle crée. En réinventant les volumes et les portés avec une approche totalement décomplexée, elle symbolise cette nouvelle ère joaillière.
GemGenève : une visibilité stratégique
Historienne du bijou et auteure reconnue, l’anglaise Vivienne Becker découvre les pièces de Tatiana Verstraeten au travers d’un article publié dans une édition internationale du Vogue. C’est lors d’une visite à Paris pour un autre projet qu’elle décide de lui rendre visite. « J’étais pressée, impatiente, j’avais du mal à trouver son showroom pourtant situé Place Vendôme, mais quand je suis arrivée et que j’ai vu ses pièces, je me suis dit immédiatement dit qu’il y avait quelque chose de différent. On ressentait une forme d’audace, de fantaisie, de fraicheur qui apportait quelque chose de nouveau dans le marché du diamant et de la joaillerie, » explique Becker. « Elle semblait absorbée par mes bijoux » se souvient Verstraeten, flattée d’avoir été approchée puis considérée par l’historienne, « Vivienne représente l’authenticité de la joaillerie, c’est une puriste ! »
Lorsque Becker lui annonce faire partie de sa sélection de créateurs pour la deuxième édition du salon GemGenève dont elle tient le rôle de curatrice de talents émergents, de prime abord, Tatiana Verstraeten ne sait pas de quoi il s’agit. Désintéressée de tout salon joaillier et bien qu’en pourparlers avec de grandes enseignes, elle ne veut pas se retrouver noyée dans la masse en partageant sa visibilité dans une vitrine aseptisée. C’est le contact avec le client qui l’attire. GemGenève étant un salon différent des autres grands rendez-vous de l’industrie parce qu’à taille humaine, organisé par des professionnels de l’industrie qui ont compris quels étaient les besoins des exposants, Verstraeten répond positivement à l’invitation mesurant l’impact que pouvait avoir cette opportunité. Co-fondateur du salon GemGenève Ronny Totah, confirme l’importance de l’implication d’une personnalité comme Vivienne Becker qui jouit d’une notoriété incontestable dans le domaine du bijou. « Experte dans son domaine, si la démarche de mettre en avant de nouveaux talents vient de nous, la sélection vient d’elle. Nous souhaitions donner une place à un vivier qui rafraichisse un peu notre profession et au fond qui met en lumière des créateurs qui peut-être auraient du attendre plusieurs années de réussite avant de rentrer dans un salon.» Chose faite, Tatiana Verstraeten a profité de son séjour Genevois pour aller à la rencontre de clients, d’acheteurs et de collectionneurs du monde entier lui permettant ainsi de répondre au mieux à leur demande pour ses prochaines collections.
L’essence même de la joaillerie contemporaine
Sa première collection de haute joaillerie conçue exclusivement en France avec un partenaire Anversois pour les diamants est un mélange de glamour, de technique et de légèreté. Inspirée par le travail de la broderie, sa première boucle d’oreille Mèche devient sa signature. Faite de fils d’or, de perles et diamants, elle donne l’aspect d’une pluie étoilée qui habille l’oreille d’un mouvement permanent. Son collier Barbara est une pièce unique qui s’articule en 16 parties d’or serties de dizaines de carats de diamants. Des ailes d’ange qu’on pose sur les épaules comme un boa de plumes venant habiller le cou en effleurant à peine la peau. Quand on lui demande pourquoi avoir commencé en créant des pièces de haute-joaillerie aussi décalées elle répond que « devenir un designer, c’est recréer ce que les grandes maisons avaient au début : un véritable ADN avec une tête créative bien pensante, comme par exemple Victoire de Castellane chez Dior. Suivant cette lignée, j’avais envie de proposer les créations de demain. En d’autres termes, pour moi la joaillerie c’est une forme de couture où l’objet que je fais doit être beau porté et non posé de manière à sublimer la femme. »
Dans une époque où le marché de la joaillerie se retrouve saturé de nouvelles marques et créateurs, certains sortent leur épingle du jeu qui sans en réinventer les bases arrivent néanmoins à retravailler les codes de la joaillerie traditionnelle. Tatiana Verstraeten fait partie de ceux qui apportent un vent de modernité en définissant la joaillerie contemporaine de demain, se justifiant du fait que n’ayant pas de culture joaillière à proprement parler, elle se base sur les volumes et les mouvements, en faisant de cette différence une force.
La capacité à appliquer les volumes du bijou fantaisie à la joaillerie
« Quand on crée en joaillerie il n’y a pas de fond sur lequel s’accrocher, » explique la créatrice. « Il faut créer un espace et y faire tenir des pierres, des perles et tout autre ornement décoratif. En d’autres termes, il faut tout accrocher ensemble. Je voulais proposer quelque chose de différent. » Son premier souhait était de travailler sur les volumes comme elle se plaisait à le faire chez Chanel en accessoirisant un jean et un tee-shirt avec une grosse broche. « C’est l’avantage du bijou fantaisie, on peut se perdre dans des volumes sans contrainte de matière donc de poids et de prix » ajoute-elle. Travailler l’accessoire de cette manière lui a permis de mettre au test ses idées, en appliquant les volumes de la fantaisie à la joaillerie. « Je voulais faire quelque chose de surprenant tout en respectant les codes de la joaillerie traditionnelle, » explique-t-elle, « pourtant, il ne faut pas oser porter mes pièces. Elles attirent l’œil mais n’envahissent pas celle qui les porte. »
C’est une forme de joaillerie qui intrigue au niveau du porté, qui surprend de part sa technique et qui plait au rendu car chaque bijou est mis en exergue sur la personne qui la porte. Déformée par son expérience dans la mode, elle dessine la silhouette avant de créer le bijou, «il faut avant tout savoir le faire vivre avant de le créer » explique-t-elle. Huit années à dessiner pour Chanel à un rythme effréné aux côtés de Karl Lagerfeld l’ont beaucoup entrainé. « Il était comme un chef d’orchestre qui te donne sa confiance, qui te laisse naviguer et créer mais surtout qui amène ton idée à maturité, » se souvient la créatrice. « Peu importe l’avis des autres, ne te compromets pas. Si tu as une idée aussi biscornue soit-elle, va de l’avant et ne la change en rien» disait-il. Sans le savoir, Lagerfeld l’aura réconforté. Son seul regret est qu’il soit parti avant qu’elle n’ait eu le temps de lui montrer sa collection aboutie introduite la veille de son dernier défilé.