Un desert de pierres

Tucson Gem & Jewellery Show

C’est en Arizona depuis plus de 65 ans que la ville de Tucson bordée de cactus attire les chasseurs de pierres du monde entier. Des marques institutionnelles aux jeunes designers, tous sont à la recherche de gemmes parfois aussi introuvables qu’improbables voire inestimables. L’article original a été publié dans l’édition de septembre 2017 de La Série Limitée des Echos.

Auteur Par Eleonor picciotto

Située à deux heures au sud de Phoenix la route qui mène jusqu’à Tucson borde la frontière mexicaine. Décrite comme la Mecque absolue de la pierre fine ou dure, des gemmes ornementales ou semi-précieuses de toutes les couleurs, le JOGS Tucson Gem & Jewelry Show arriverait presque à en faire oublier l’existence des quatre pierres précieuses (diamants, saphirs, rubis et émeraude). La presse n’y est pas forcément la bienvenue de peur que les prix des uns soient comparés à la qualité de pierres des autres. Il faut donc savoir montrer patte blanche. La foire n’en est pas une comme on peut se l’imaginer où vendeurs et acheteurs se retrouvent sous un seul et même pavillon pour passer commande. Pendant quatre jours pour l’édition de Septembre et douze pour celle de Janvier, la ville se transforme pour accueillir de 7’000 à 75’000 visiteurs. Le JOGS, traduit par le Jewelry and Organic Gem Show, est le noyau principal autour duquel gravitent près de quarante « shows » satellites. On passe d’une tente sur un parking à une chambre de motel sur le bord de la route pour découvrir des gemmes de couleurs dont on ignorait l’existence. Selon les instants, on se croirait au souk de Marrakech sous un soleil écrasant où les serpents à sonnettes sont remplacés par des cactus. Posés nonchalamment sur des tables pliantes en vieux plastique fondu par endroits, les rangs d’opales de feu s’empilent sur des rangs émeraudes cristallines qui sont enfilées sur des fils de coton prêts à céder tout en cognant des labradorites facettées. Bienvenu au pays des merveilles sans Alice pour vous y guider.

Tucson pierres

La vallée de la Turquoise

Les turquoises, cristaux, minéraux ou fossiles se vendent au poids. Certaines sont facettées, d’autres taillées. Les tourmalines se piochent dans des Ziploc transparents tapissés de papier de soie. On soulève des plateaux en cuir gainés de mauvais alcantara pour découvrir plus de quatre-vingts variétés de turquoises. Quelques turquoise dites Boulder sont taillées ou sertis sur des bijoux en argent. Elles se distinguent par une veine qui traverse la pierre. On retrouve le même phénomène pour les opales. Ed Lohrman, un jeune septuagénaire interpelle tout individu lorgnant sur ses pierres. C’est une institution qui fait le bonheur de plusieurs acheteurs pointus depuis 1976. Au début des années 80, il a mis la main sur un gros caillou pas comme les autres qui détenait des centaines de carats de turquoise Boulder. Depuis lors, il continue de couper et de tailler son caillou en morceaux qu’il vend sur sa petite table en plexi blanc année après année et animé de la même passion.

De l’état du Nevada à son voisin l’Arizona, la route qui nous guide quasiment jusqu’à la frontière Mexicaine se compose de canyons rouges feu, de cactus vert bouteille et de routes au bitume si chaud que certaines parties fondent quand le soleil est au zénith. C’est dans cette région que se trouvaient les grandes mines de cuivre, d’or et de turquoises jusqu’à ce les régulations étatiques rendent l’extraction et l’exploitation minière de plus en plus impossible entre les coûts pharamineux et la perte de savoir-faire. Sur quelques sentiers escarpés on trouve des tentes de fortune avec en guise de panneau de signalisation un morceau de carton sur lequel on peut lire au feutre velleda indélébile « Turquoise & Gold Jewelry Here » car c’est ici que se trouvent la majorité des gisements de turquoises.

Tucson Turquoise Picture

La mine Sleeping Beauty est une des plus connues mais celle de Kingman située à Golden Valley, AZ est la dernière en activité. Marty Colbaugh et son fils Josh sont les héritiers de cette exploitation familiale depuis plus de 3 générations. Récemment mandaté par une grande maison de la Place Vendôme, Colbaugh explique en souriant qu’il a pour mission de trouver les plus belles grosses turquoises. « Il n’y a pas de turquoise parfaite, » explique-t-il en tenant dans ses doigts bronzés et tout cornés deux turquoises aussi grosses que différentes, « l’acheteur doit suivre son instinct car les détails, les nervures, les intensités de bleu ou de vert varient d’un œil à l’autre. Si vous aimez une pierre, j’en suis ravi, mais ne me demander pas mon avis ! » De Chopard à Piaget en passant par Van Cleef & Arpels ou Cartier, tous viennent à la recherche des plus belles turquoises mais pas que. A quelques tentes de là, c’est un français qui attire l’attention avec les nuances de bleu mi- lagon mi- laiteux de la pierre qui jonche son stand. « La larimar c’est comme les racines d’un arbre qui s’enroulerait sur un tube » explique Patrick Joyas, « c’est fascinant. » Tombé amoureux de cette pierre lors d’un voyage en République Dominicaine il y a dix-huit ans, il s’installe en Guadeloupe et ouvre le premier atelier de fonderie. Il est aujourd’hui un des seuls à vivre de cette pierre. Difficile à tailler, qui nécessite un outillage diamanté, la larimar possède différentes intensités de bleu qui se mesurent sur une échelle de A : simple, double ou triple, comme les saphirs ou les rubis. Montée le plus souvent sur argent, les joailliers la sertisse de plus en plus sur or, là où les chinois adorent les collectionner en boule, comme une sphère porte-bonheur connue pour ses vertus apaisantes.

Cailloux précieux

Carafes d’eau incrustées d’améthystes, porte-clés en jade, colliers en corne ou couteaux en nacre, certaines allées semblent parfois un peu bricolées. « Ce format de salon parfois informel plaît, » explique Vitaliy Mayzenberg en charge de la promotion du salon depuis quinze ans. « C’est plus facile de faire des deals et surtout pendant l’édition de Septembre car il y a moins d’acheteurs, plus de locaux et de transactions faites en espèces. » Originaire d’Ukraine, ce quarantenaire vit à Los Angeles avec sa femme et ses trois enfants depuis plus de la moitié de sa vie. Devenant propriétaire du building dans lequel se passe le JOGS, il s’occupe de faire perdurer ce salon incontournable de la profession. Un véritable El Dorado dans lequel chasseurs de pierres, dénicheurs de trésors, archéologues, gemmologues ou jeunes designers en vogue viennent une à deux fois par année pour y négocier quelques gemmes. « La diversité combinée de la rareté de certaines pierres font déplacer l’industrie : la magie est de venir chercher ce qui ne se trouve plus » explique Mayzenberg. « Il y a de tout pour tous les profils. Harley Davidson vient s’approvisionner en ambre afin d’orner leurs grosses cylindrées de pierres ornementales aux codes couleurs de la maison. Les boutiques « métaphysiques » viennent trouver géodes, fossiles et cristaux tout comme certains designers viennent s’inspirer si ce n’est piquer les idées de quelques bijoutiers locaux. » La tendance en joaillerie est aux pierres rares et surprenantes comme aux bijoux antiques au look bohème, appelés « Native American » ou « Southwestern » outre-Atlantique. La créatrice Jacquie Aiche est une fanatique invétérée du salon qui, en bonne Californienne s’exclame d’un « OMG, I loooove Tucson » quand on lui demande la provenance de ses pierres tout comme Andrea Fohrman, une obsessionnelle de la couleur qui s’amuse à sertir ses bijoux de pierres méconnues pour susciter surprise et désir auprès de ses clientes.

La complexité d’un tel salon est de savoir où aller et pour ce faire, il faut être bien conseillé. On ne tombe pas sur des morceaux de dinosaures fossilisés jonchant sur une serviette éponge toute rêche à l’arrière d’un coffre de pick-up « par hasard. » En fin connaisseur ou véritable amateur, n’ayant pas de limite dans les prix et encore moins dans les choix il faut simplement arriver à canaliser sa frénésie d’achat!

Jacquie Aiche - Manchette en pointe de flèche géante pavée diamant
Jacquie Aiche – Manchette en pointe de flèche géante pavée diamant

 

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