A chaque expert son histoire à chaque montre son anecdote. Le monde du vintage est un monde à part. Si les experts ont un rôle à jouer aussi importants que le collectionneur qui va céder ou chercher une pièce, la montre en elle-même se considère comme le trésor d’une chasse bien gardée. Quatre éminents experts des plus grandes maisons de ventes reviennent sur leur histoires, découvertes et anecdotes extraordinaires qui font de leur métier une vraie passion.
La chasse de la proie
Aussi obsessionnels que compulsifs mêlé à des égos de temps en temps démesurés, les collectionneurs sont parfois prêts à tout pour obtenir une montre. Ce garde-temps qui se rajoute à une collection souvent bien garnie, mais cette pièce qui fait – soi-disant – toute la différence. Matt Hranek, journaliste indépendant aux Etats Unis réputé pour sa connaissance du vintage raconte comment l’obsession masculine d’acquérir une pièce se passe comme ces « crazy drug deals » qu’on ne voit qu’au cinéma. « Certains sont prêts à faire un aller-retour de NY à Hong Kong pour récupérer une montre ou faire un échange de devise pour gagner un pourcentage sur une vente. » De la chasse à la poursuite d’une pièce, les collectionneurs vont aux extrêmes pour obtenir les pièces qu’ils veulent. « En même temps, si tu es prêt à dépenser 130’000 dollars sur une Rolex Paul Newman, il vaut mieux que ce soit une vraie, » admet Hranek. Le pire reste les collectionneurs qui, entre eux, se font du chantage pour avoir une pièce sous réserve de se faire dénoncer au fisc par exemple…
La trouvaille
On n’est plus au jardin d’enfant, et pourtant, la surprise d’une trouvaille c’est comme l’enfant le lendemain de noël qui ouvre son cadeau tombé du ciel, les yeux pétillants de bonheur. Geoffroy Ader, expert en montre de collection chez Artcurial et plus prochainement Expertissime24 raconte qu’il est comme un chercheur d’or avec une baguette magique. S’il se souvient d’un client qui ne le recevait uniquement sur un fauteuil de dentiste, ou de la découverte de montres qu’il trouvait dans des boites à chaussures poussiéreuses, Ader se souvient de cette histoire qui remonte en 2006 où il a vendu « La Borne de la Liberté » une pendulette mystérieuse de chez Cartier qui avait été vendue au gouvernement provisoire de la France en 1946 puis offerte la même année par le Général de Gaulle à la Reine de Belgique lors de son premier voyage officiel. Peu de temps avant cette vente, il se souvient avoir rencontré le petit-fils de Etienne Bellanger, l’ancien directeur de la succursale Cartier à Londres en 1940. Le jeune descendant tenait à lui raconter que son grand-père avait alloué les services de son chauffeur au Général lors de son arrivée avant le fameux appel du 18 juin. A l’enterrement de Mr. Bellanger, un officier de la garde républicaine s’était présenté de la part du Général de Gaulle alors président de la république pour déposer une gerbe de fleurs. Une rencontre entre deux hommes dans la tourmente où le Général s’est souvenu de son aide si précieuse. C’est, des années plus tard, un objet qui en a fait le lien !
Vrai ou Faux ?
Tomber sur des pièces dont les experts ne pouvaient concevoir l’existence d’une référence, les amène parfois à penser que ce sont des faux. Aujourd’hui à la tête du département horlogerie de Christie’s Genève, Thomas Perazzi se souvient d’une montre de poche qui se trouvait à Naples du temps où il était chez Antiquorum ; « une soi-disant Patek pièce que même eux ne se souviennent pas avoir commander ! » Estimée entre CHF 200’000 et CHF 400’000 – cette pièce supposée au prime abord fausse sera vendue deux millions de Francs Suisses ! Quelques années plus tard, Perazzi raconte son expérience avec le FBI lors d’une vente aux enchères à New York en 2008. Un client lui apporte une montre de poche Zénith de 1915 avec un mouvement ETA qui semble avoir appartenu à Gandhi. Sceptique, l’équipe Antiquorum de l’époque se demande si la pièce a peut-être été volée. « Vérification faite, c’était un cadeau, mais rien d’extraordinaire, » explique Perazzi. « Nous l’estimons à 20’000 Dollars même si la pièce ne valait mécaniquement pas grand-chose. » Il raconte ensuite, « nous avons reçu une série de menaces terroristes car nous refusions de restituer la pièce à l’état Indien qui ne lui appartenait pas. Le FBI a dû s’en mêler, et j’ai dû faire une vente encerclée d’agents qui contrôlaient de possibles attaques. » Si la pression lors d’une vente est déjà à son summum, elle est doublée quand vo
us êtes menacé ! La montre de poche de Gandhi a été adjugé 2 millions, « mais c’est principalement grâce sa provenance, » admet Perazzi.
Accéder au Graal
On se demande souvent pourquoi un client s’entêterait à garder une montre qu’il ne porte pas alors qu’on lui a proposé des mille et des cent pour la lui racheter. Aurel Bacs – expert horloger devenu indépendant en fondant Bacs & Russo en association avec Phillips – explique que le premier aspect est sentimental. C’est avant tout la montre de quelqu’un de leur famille et on a tendance à estimer que ce n’est pas correct de s’en séparer. Il faut savoir que la montre est considérée comme étant un objet extrêmement intime. On commence par se débarrasser des meubles même des tableaux avant de s’atteler à la montre du grand-père. Peut-être parce que cette montre était au poignet d’une personne et chaque fois qu’on voyait cette personne elle portait la pièce à son poignet est un souvenir dont on a du mal à se séparer. La montre reste quelque chose de très personnel et riche de mémoire. Et puis… ce n’est pas trop difficile de garder une montre ! Nullement besoin d’un garde-meuble. Elle est petite et précieuse et c’est justement une des raisons pour laquelle ils la gardent. Beaucoup lisent ou entendent – et pas forcément à juste titre – que comme cela se passe à peu près encore bien dans ce secteur, ils se disent que s’ils gardent la pièce encore quelques temps elle prendra encore plus de valeur ! A suivre, l’histoire de la Rolex GMT 6542 qu’Aurel Bacs a mis 30 ans à obtenir…
La vente
Ancien de chez Vacheron Constantin, Alexandre Ghotbi a rejoint il y a quelques mois le monde du vintage et des enchères en atterrissant chez Phillips en tant expert horloger. A la fois pointu et féru d’horlogerie, Ghotbi découvre le monde du vintage qu’il décrit comme fascinant. Un « fascinant » différent de l’horlogerie contemporaine qu’il a côtoyé pendant plus de 20 ans. Pour sa première vente Phillips qui a eu lieu en mai dernier, Ghotbi ne sait pas si ce qui l’a le plus étonné… Un client voulant mettre toutes ses chances d’obtenir une pièce a fini par surenchérir contre lui-même. Il avait mis ses enchères par écrit auprès de l’huissier, mais était simultanément au téléphone pour enchérir ! Le lendemain de la vente, il reçoit un coup de téléphone d’une maman dont le fils s’était trompé et avait appuyé sur son clavier d’ordinateur en mettant une enchère. Comme son fils a obtenu la montre elle demande, « C’était une erreur, est-ce que vous pouvez annuler la vente ? » Ghotbi répond, « Mais quel âge a votre fils chère madame ? » Sans hésiter, elle lui répondu qu’il a 31 ans… ce à quoi malheureusement l’équipe Phillips n’a pas pu faire grand-chose !
La bataille de la Rolex en acier vendue presque 2 Millions de Francs Suisses.
« J’ai hérité de cette montre, donc voilà, j’aimerai la vendre, » raconte Geoffroy Ader surpris de la simplicité de la demande lorsqu’un client lui fait découvrir pour la première fois la Rolex Cosmograph Daytona, réf. 6263, avec le cadran ‘Panda’ de Paul Newman. Une rareté ! En 2010, le marché était en pleine effervescence sur les Daytona. Etant une des pièces les plus emblématiques du marché car sportive, sexy, lookée et qui évolue avec son temps, la Rolex Daytona est un must à part entière. La référence 6263 avec écriture inversée : RCO pour Rolex Cosmo Oyster définie comme la configuration Sotto – est extrêmement convoitée car il n’existe que 20 pièces comme telle. Estimée alors entre 60K et 80K dans le catalogue Sotheby’s de cette année-là, elle est vendue CHF 500’000.- ce qui est un record absolu pour l’époque. « Je sentais qu’il commençait à y avoir une effervescence sur les Daytonas… raison pour laquelle je les mettais dans nos catalogues de ventes quand tout le monde se concentrait sur des Patek, » raconte Ader. Quelques années passent, puis la pièce retombe dans les mains de l’expert Aurel Bacs. Estimée cette fois entre CHF 750’000 et CHF 1’500’000.- elle bat tous les records imaginés et se vend en mai dernier chez Phillips CHF 1’985’000.- à un collectionneur dans la salle dont Aurel Bacs s’amuse à demander à l’enchérisseur en phase de réflexion, s’il a besoin de ses conseils avisés ? Dans une atmosphère détendue et sous l’objectif d’une centaine d’iphones déguainés, la Tropical Brown Daytona déjà convoitée à l’époque, est décrite comme telle par les collectionneurs concernant les cadrans passés naturellement de noir à marron avec le temps fait un nouveau heureux
Matthew Hrane
Lui, c’est l’Américain sur lequel il faut se pencher. Son Instagram et ses projets photos regorgent d’images de chasse, de bière et de plats semi-raffinés. Contributeur régulier pour Condenast Traveler, Matt Hranek est un journaliste respecté. Quid de l’horlogerie direz-vous? Passionné de montres mais surtout collectionneur, Hranek sort l’année prochaine un livre publié par Artisan sur les collectionneurs et leur pièces intitulé : A Man and His Watch. Le fil conducteur consiste à faire ressortir les éléments à la fois historiques et émotionnels liés aux garde-temps extraordinaires et leur propriétaire. De Fred Astaire et sa Cartier en passant par Paul Newman et sa Daytona, Mario Andretti et sa Tag Heuer, les histoires sont aussi anecdotiques que les personnages sont parfois historiques. Ces « Watch Nerds » comme il les appelle- Matt Hranek en est la définition même!