Fondé en 1927, le magazine de référence Europa Star a digitalisé 60 000 pages d’archives issues de plus de 350 publications, retraçant ainsi la grande épopée de la tocante. Soixante ans d’histoire en quelques clics. Vertigineux.
GQ France Edition Novembre 2019
En annonçant la digitalisation de toutes ses archives depuis sa création, le magazine suisse Europa Star a mis toute la sphère horlogère en émoi. Et pour cause, il a fallu plus de deux ans pour ras- sembler, éplucher, numériser et classer chacune des pages, même si pour l’heure seuls les documents datés d’après 1959 sont accessibles. « On fait face à une obsolescence programmée : aujourd’hui, toute une vie en images peut s’effacer en une seconde », explique Serge Maillard, petit-fils du fondateur et aujourd’hui installé aux États-Unis. À plus forte raison lorsqu’on analyse le discours de certaines marques qui, souhaitant se débarrasser de leurs vieilleries, revendiquent une rupture avec le passé. Beau- coup d’entre elles se sont ainsi délestées de leurs archives pour laisser place à la nouveauté. Serge Maillard fait cependant un constat : « Les marques aux plus fortes identités sont celles qui ont un maximum d’informations sur leur histoire. »
L’ESSOR DU VINTAGE
Au début des années 1920, Hugo Buchser est un horloger polyglotte qui voyage à travers le monde pour vendre ses montres. Il constate vite le besoin de connexion des gens, mais surtout le manque d’informations d’un continent à un autre – les catalogues et publications spécialisés pouvant mettre des mois à arriver à bon port. Il a alors l’idée de créer un réseau mondial de magazines dans différentes langues. Avant de devenir un des médias pionniers du genre, Europa Star est pendant longtemps un outil d’exportation pour un lectorat principalement professionnel, qui bénéficie ainsi d’une ouverture sur le monde. Au fil des années, le magazine devient une référence, à tel 157 point que dans les années 1980-1990, des avocats se déplacent dans les bureaux genevois pour vérifier noms, histoires, brevets et dates de lancement. La digitalisation des archives d’Europa Star per- met de rétablir une forme de vérité, mais aussi d’influencer, dans une certaine mesure, les catalogues de ventes aux enchères face à l’intérêt grandissant des particuliers pour l’achat de montres vintage. Avec la mise en ligne de cette plateforme, collectionneurs et acheteurs peuvent faire leurs recherches avant d’acquérir une pièce, en se basant sur les descriptions d’époque. Les membres du Club Europa Star ont accès à une sorte de Wikipédia de l’horlogerie – avec recherche par marque, mot-clé ou référence précise – recensant plus de 350 magazines publiés et 60 000 pages d’archives, soit soixante ans d’histoire et de créations horlogères
UN PROJET TITANESQUE…
D’un part pour rétablir une forme de vérité, d’autre part avec l’essor du vintage et l’intérêt grandissant des particuliers à acheter des montres anciennes, cela permet dans une certaine mesure d’avoir une influence sur les catalogues de ventes aux enchères. Avec la mise en ligne de cette plate-forme, collectionneurs et acheteurs peuvent faire leurs propres recherches avant d’acquérir une pièce. Les gens observent le passé avec les yeux du présent ce qui peut parfois biaiser les choses. Car lire la description d’un modèle sur un beau papier glacé n’est pas nécessairement le reflet d’une archive isolée. Il faut la remettre dans un contexte d’époque avec son éco-système. Dont acte. En vous abonnant au Club d’Europastar vous aurez accès à une sorte de Wikipedia de l’horlogerie recensant plus de 350 magazines publiés ainsi que 60’000 pages d’archives consultables en ligne avec une barre de recherche intégrée ce qui permet de d’accéder au 60 dernières années d’histoire et de créations horlogères : par marque, mot-clé, référence précise…*
En 3 questions à Serge Maillard
- Comment est né ce projet de numérisation de vos archives ?
S.M. Compte-tenu de la difficulté qu’ont les médias à faire face à la crise du digital, il fallait se différencier par rapport aux autres. A plus forte raison qu’il n’y a jamais eu autant d’informations sur les montres qu’aujourd’hui. Ce qui rejoint un autre phénomène, la tendance des marques à faire des rééditions de pièces historiques, en faisant renaitre des icones du passé.
- Est-ce que mettre en ligne de telles archives est une façon de rétablir une certaine vérité ?
S.M. On va puiser dans l’histoire de la légitimité. On fait face à une bataille d’égo au lieu de s’ateler à rétablir une forme de vérité. Le cas de Nicolas Riussec vs. Louis Moinet en est un bel example. Le premier a longuement été présenté comme le créateur du chronographe qu’il introduisit en 1821, mais fût détrôné – officiellement- par Moinet il y a quelques années grâce à l’obtention de la mention de reconnaissance pour la même découverte mais en 1816. Cela aura donc pris près de 200 ans … mais dans quel but ? In fine, une découverte n’est pas liée à une personne mais une accumulation de personnes qui arrivent à cette innovation…
- Quelles différences peuvent être observées entre le journaliste d’antan et celui d’aujourd’hui ?
S.M. Le journaliste doit être curateur et doit apporter une vraie valeur ajoutée. On observe de vrais problèmes quant à la légitimité de l’information car l’accès à l’information est beaucoup plus facile mais moins vérifiée. Tous les journalistes deviennent finalement des historiens horlogers.
Si on devait retenir 4 pépites sur 60’000 pages :
- Les best-sellers d’aujourd’hui sont des montres créées il y a cinquante ans.
- Dans les années 1970, a eu lieu la crise du quartz : de nombreuses marques, Seiko en tête, commercialisèrent de nouvelles montres… à quartz, ce qui bouleversa l’industrie horlogère suisse, attachée à la technologie des montres traditionnelles mécaniques.
- Au début des années 2000, Chanel lançait sa première J12 qui deviendra la première icône du XXIe siècle. Une pièce pensée pour l’homme et portée par la femme.
- Les méthodes de communication des marques ont beaucoup évolué. Avant, elles insistaient surtout sur la fonctionnalité et la performance d’une montre.
*Pour plus d’informations sur les abonnements : www.europastar.com/club