Encore méconnu du grand public il y a trois ans, le diamant de synthèse est aujourd’hui fièrement revendiqué par une nouvelle génération de joailliers qui ne conçoit la création qu’à l’aune de son impact sur notre planète. Et si le diamant synthétique préfigurait la joaillerie de demain ? Nous avons voulu en savoir plus sur cette pierre qui suscite un intérêt grandissant.
Stéphane Wulwik, le fondateur de la marque de joaillerie éthique Innocent Stone, nous partage sa vision de ce nouveau marché et de son impact moyen terme.
Retrouvez le premier volet de ce reportage avec l’interview de Jean Marc Lieberherr, président de la Diamond Producers Association.
TEIOFJ : Après quinze années d’expérience en tant que diamantaire, vous avez créé en 2016 Innocent Stone, une marque de joaillerie éthique qui propose exclusivement du diamant synthétique. Pour quelles raisons ? Qu’est-ce qui le rend si particulier à vos yeux ?
SW: J’ai découvert le diamant de synthèse presque par hasard. A l’époque, je pensais que cette pierre était réservée au secteur de l’électronique ou à certaines industries qui y recouraient principalement pour ses propriétés optiques. En m’y intéressant de plus près, j’ai pu constater que non seulement le diamant de synthèse était beau et éclatant, mais qu’il se posait en véritable alternative à la joaillerie traditionnelle. L’envie d’entreprendre était également là. Après 15 ans passés dans le négoce du diamant naturel, je ressentais le besoin de relever un nouveau challenge. Innocent Stone est née de cette envie d’inventer la joaillerie de demain.
TEIOFJ : Votre marque existe depuis presque trois ans. Comment avez-vous vu évoluer le marché ? Quel est le profil de votre clientèle ?
SW: Lorsque j’ai fondé la marque en 2016, le diamant synthétique n’en était qu’à ses prémices. La première année de notre activité a été consacrée à évangéliser nos partenaires comme nos clients. Dès la fin de l’année 2017, il s’est créé un engouement autour du diamant de synthèse, porté par des aspirations plus globales de consommation de bien éthiques et éco-responsables. L’effet s’en est clairement ressenti sur les ventes, en France comme à l’étranger.
Innocent Stone s’adresse aujourd’hui à trois types de clients : ceux qui sont intéressés par l’argument du prix, car le diamant synthétique est positionné 40 à 50% moins cher qu’un diamant naturel. Viennent ensuite des profils sensibles à notre philosophie, celle de soutenir une création portée par des valeurs écologiques, éthiques et sociales. Ce sont souvent nos clients les plus jeunes. Et enfin, une clientèle un peu plus âgée, férue de nouvelles technologies, pour qui le diamant de laboratoire représente quelque chose de profondément novateur, et donc d’hautement désirable.
TEIOFJ : En termes de prix justement, l’étude du Cabinet Bain affirme que comme dans tout process industriel, grâce aux progrès technologiques, les coûts de production vont continuer à baisser, rendant le diamant synthétique encore plus accessible. Pensez-vous que l’écart de prix va continuer à se creuser ?
SW : Il encore trop tôt pour le dire. Le diamant de synthèse est un marché de niche et on manque de recul pour faire de telles projections avec assurance. Ce qui est sûr, c’est que le prix du diamant naturel va continuer d’augmenter, car d’ici 20 à 30 ans, les principales mines seront épuisées. Cela peut entraîner un ajustement à la hausse de la valeur du diamant de synthèse.
Tout dépend de la façon dont on analyse le marché. Si on applique le schéma traditionnel selon lequel toute technologie, une fois amortie, s’accompagne d’une baisse des coûts de production, alors oui, on peut tabler sur un prix à la baisse. Pour ma part, j’ai tendance à penser qu’on est au commencement d’un tout nouveau business porté des industriels qui sont encore en phase de R&D très importante. Je rappelle qu’aujourd’hui aucun laboratoire n’arrive à prédire le type de pierre qui va être créé par la machine. L’innovation n’a pas supprimé cette part de mystère qui fait que chaque pierre est unique. A court terme, je ne pense pas que l’écart prix va se creuser tout simplement parce que les fabricants n’ont aucun intérêt à brader leur produit.
TEIOFJ : Que vous inspire des initiatives comme celle de la marque Lightbox (marque du groupe De Beers) qui a choisi de ne pas certifier ses diamants, les positionnant de fait sur un créneau de fashion mass market ? Craignez-vous que cela dégrade la valeur perçue du diamant synthétique ?
SW : Pour moi, on est dans le pur coup marketing même s’il est naturel que De Beers veuille défendre son cœur de marché. En réalité, c’est une toute petite production, qui suffit à peine pour répondre à la demande de leur clientèle Lightbox. La communication n’est pas très claire, les diamants ne sont pas certifiés, tout cela participe à une volonté de dévaluer le marché du diamant de synthèse. Mais je ne suis pas inquiet, ce n’est qu’une tentative parmi d’autres de contenir un marché qui dépasse les joailliers traditionnels.
TEIOFJ : Que répondez-vous à ceux qui disent que le diamant synthétique n’est pas aussi écologique qu’on veut bien le dire et que son empreinte carbone est élevée en raison de sa consommation énergétique ?
SW : C’est encore de la désinformation ! L’extraction du diamant de mine est énergivore, polluante et pénible pour les hommes qui y travaillent. L’empreinte carbone d’un diamant de synthèse est 1,5 milliards de fois plus faible que celle d’un diamant de mine. Quant à la consommation d’eau, il faut savoir qu’un diamant de mine nécessite 480 Litres/carat quand un diamant de laboratoire en consomme 70 Litres/carat. Ces données ne peuvent que nous faire réfléchir quant à nos choix en matière de joaillerie.
TEIOFJ: Comment voyez-vous la répartition du marché entre les diamants naturels et synthétiques dans les années à venir ?
SW : Je pense qu’ils vont coexister car il y a de la place pour chacun. Le diamant synthétique n’est pas l’ennemi du diamant naturel, ils ne visent pas les mêmes consommateurs et ne répondent pas à la même demande. Ces dernières années ont vu émerger un nouvel acheteur, plus sensible et averti, en attente d’une joaillerie éthique. Pourquoi se couper par principe de cette clientèle ? C’est absurde ! Le diamant synthétique est un produit que tout joaillier devrait avoir dans sa vitrine, au même titre que le diamant naturel. Bien sûr, il y a de l’appréhension de la part des joailliers car le diamant synthétique doit être expliqué et défendu, sans parler de son appellation qui manque cruellement de glamour, mais c’est un autre sujet. Je suis pour ma part convaincu que le diamant de synthèse va suivre la même voie que celle de la perle de culture, ce n’est qu’une question de temps.