Autrefois réservé à l’industrie, le diamant synthétique se pose aujourd’hui comme un challenger du diamant naturel. La question est : jusqu’à quel point ? Les diamants synthétiques valent-ils les diamants naturels ? Incarnent-ils l’avenir du diamant naturel dont on estime que celui-ci aura disparu d’ici à 2030 ?
Avec cette nouvelle rubrique intitulée Talk, The Eye of Jewelry s’empare des sujets qui font l’actualité et qui, par les questions qu’ils soulèvent, préfigurent la joaillerie de demain.
Pour cette première, nous nous sommes intéressés au débat qui agite le milieu de la joaillerie ces dernières années, entre partisans du diamant synthétique et défenseurs du diamant naturel.
Nous avons donné la parole à deux experts : Jean Marc Lieberherr, Directeur Général de la Diamond Producers Assocation (DPA), et Stéphane Wulwik, le fondateur de la marque de joaillerie Innocent Stone, pour répondre à nos questions.
Cette semaine, nous publions le premier volet de notre reportage, l’interview de Jean Marc Lieberherr.
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TEIOFJ : Pouvez-vous nous dire quelle est la différence entre un diamant naturel et un diamant synthétique ?
JML: A l’œil nu, les pierres artificielles et naturelles se ressemblent car elles ont les mêmes propriétés physiques et chimiques. Cependant, elles peuvent être facilement distinguées grâce à un équipement spécialisé́, car elles diffèrent par leurs marques de croissance, et par la nature de leurs inclusions. Un diamant véritable est le fruit d’une croissance qui peut durer plusieurs centaines de millions d’années, alors qu’un diamant de synthèse est produit en quelques semaines. Cette différence de procédé́ laisse des marques distinctes dans la pierre qui attestent de leur origine. Les inclusions présentes dans un diamant naturel sont des bulles ou des cavités contenant des matériaux anciens de plusieurs milliards d’années, alors que les inclusions présentes dans un diamant de synthèse sont le résultat d’un processus industriel mal contrôlé́ et sont d’une toute autre nature, puisque les diamants de synthèse sont de fait des répliques industrielles de diamants.
Imaginez une reproduction parfaite d’un Picasso utilisant les mêmes pigments et la même toile que l’œuvre authentique. Seul un expert pourrait les distinguer, ce qui ne signifie pas qu’elles sont identiques. L’une est authentique et a une valeur intrinsèque et émotionnelle particulière du fait de son origine, l’autre est une réplique qui a une valeur décorative, elle tire son intérêt de sa relation à l’original mais n’a aucune valeur propre. Cette analogie s’applique parfaitement aux diamants naturels et diamants synthétiques.
TEIOFJ : A l’inverse des diamants qui sont tous classés selon la norme des 4C, certains diamants sont certifiés IGI, d’autres ne font l’objet d’aucune mention particulière, notamment ceux de Lightbox, la ligne de diamants de laboratoire de De Beers. Qu’en pensez-vous ? Le grading des diamants synthétiques peut-il être une source de confusion pour le consommateur ?
JML: Le grading pour les diamants naturels est rendu nécessaire par le fait que plus les pierres sont parfaites et incolores, plus elles sont belles, mais aussi, plus elles sont rares et donc chères. Il s’agit de rendre compte de différences naturelles entre des pierres qui vont ensuite dicter le prix auquel elles vont s’échanger. Bien sûr, les producteurs de diamants de synthèse souhaitent adopter tous les codes qui s’appliquent aux diamants naturels de façon à suggérer l’équivalence entre les produits et certains laboratoires ont un intérêt commercial à fournir ce service. Mais lorsqu’on réfléchit un peu à la question, l’absurdité d’une telle démarche est flagrante. Le diamant de synthèse étant un produit industriel, il n’y a aucun besoin de rendre compte de différences naturelles. Un tel grading s’apparente à de l’assurance qualité, pas à de la gemmologie, et les inclusions à des défauts de fabrication.
Par ailleurs, les pierres sont de plus en plus uniformes et il n’y a donc aucun effet de rareté. Demain, une pierre synthétique sans défaut sera la norme généralisée et leur valeur sera entièrement dictée par leur coût de production. On sait déjà que le coût de production au carat d’une pierre industrielle décline avec la taille de la pierre. C’est l’inverse bien sûr pour une pierre précieuse, compte tenu de la rareté des grosses pierres. C’est probablement le raisonnement suivi par la marque Lightbox et son CEO, Bruce Cleaver, lorsqu’il affirme que les diamants synthétiques sont « tous pareils et ne méritent pas de certificat » (cf. interview de Bruce Cleaver, CEO De Beers, accessible ici).
TEIOFJ : La question de la valeur et du prix des diamants synthétiques fait débat. En vous basant sur les données de l’étude « The Global Diamond Industry 2018 » du cabinet de conseil Bain & Company, vous affirmez que la véritable valeur d’un diamant synthétique s’établit à environ 15% de celle d’un vrai diamant. Selon vous, est-ce que ce positionnement prix plus faible en fait un sérieux concurrent ou, au contraire, est-ce que ce prix n’est pas à l’avantage du diamant naturel, de fait positionné comme plus luxe ?
JML: Reprenons l’analogie de la peinture de maître. Un diamant naturel est une pierre précieuse de plusieurs milliards d’années, dont la production ne cesse de baisser. Le diamant naturel a une vraie valeur intrinsèque, alors qu’un diamant de synthèse est une pierre artificielle dont la production augmente régulièrement et dont les prix ne cessent de baisser. Notre étude Opinionway sur la France montre l’attachement des consommateurs, et notamment les Millennials* à la symbolique du diamant. Cette symbolique est directement liée à son histoire, à son origine naturelle et à sa rareté. Un diamant ne peut pas être réduit à un assemblement d’atomes, ce qu’ont bien compris les producteurs de diamants synthétiques qui essayent d’emprunter tous les codes des diamants naturels pour vendre leur produit, y compris le prix. Cette stratégie a ses limites, d’ailleurs les consommateurs commencent à comprendre qu’il s’agit de produits très différents et cela s’en ressent sur les prix.
A titre d’exemple, les diamants Lightbox sont aujourd’hui vendu à 600€ prix détail, et les versions synthétiques des pierres de couleur (rubis etc.) se vendent aujourd’hui à 10% du prix des pierres naturelles. Les pierres de synthèse vont certainement trouver leur marché, celui de la fantaisie, mais ne pourront pas se positionner comme des alternatives aux pierres naturelles.
TEIOFJ : Vous luttez également contre l’idée selon laquelle seul le diamant de laboratoire est écologique et responsable. A cet effet, vous expliquez que « ramenée à un carat produit, l’empreinte carbone d’un diamant synthétique produit en Chine ou en Inde, selon le procédé « CVD » est très supérieure à celle d’un diamant naturel du fait de sa forte consommation énergétique ». Pensez-vous qu’il soit pertinent de mettre en place un rating des diamants (naturel et synthétique) pour connaître leur empreinte écologique réelle et mieux informer le consommateur ?
JML: Je pense qu’il est tout à fait pertinent d’informer le consommateur sur la réalité de l’impact de ce qu’il achète, quel que soit le domaine. Nous allons bientôt publier un rapport produit par une société indépendante de renom (Trucost, partie du groupe S&P) qui donne une indication très précise et chiffrée de l’impact environnemental des diamants naturels produits par tous les membres de la DPA. Ce niveau de transparence est inédit. L’impact environnemental de l’extraction de diamant naturel est aujourd’hui très faible et consiste principalement en l’émission de gaz carbonique. Toutes les entreprises minières travaillent à leur réduction. Il est de notre ressort de fournir une information transparente sur l’empreinte écologique du diamant naturel, mais la vraie question qui intéresse le plus les consommateurs, c’est celle de l’impact humain et social des diamants. Et dans ce domaine, nous pourrons bientôt fournir des informations vérifiées qui démontrent l’impact positif pour les populations locales de l’activité d’extraction des diamants naturels.
TEIOFJ : Avec le recul, est-ce que l’industrie du diamant naturel n’a pas eu tort en se montrant réticente à répondre au besoin d’information des consommateurs ?
JML: Oui, certainement, il y a eu une réticence à communiquer. Ces dernières années, la tendance s’est inversée, et la transparence est désormais au cœur de notre action. Jusqu’à présent, nous ne publions pas les « sustainability reports » produits par les entreprises minières, simplement car nous n’avions pas d’outils pour le faire. C’est désormais chose faite, nous avons récolté des données objectives sur le secteur, et nous allons les communiquer dans les mois qui viennent.
TEIOFJ : L’étude de Bain & Company fait état de trois tendances clés pour le marché du diamant. L’une d’entre elles concerne la présence des diamants de laboratoire et leur effet sur la demande de diamants naturels. Il est expliqué que dans les années à venir, le véritable enjeu pour l’industrie du diamant naturel sera d’arriver à différencier « ses pierres des diamants cultivés en laboratoire » pour que l’effet sur la demande d’ici à 2030 soit limité à 5% ou 10% en valeur termes. Comment comptez-vous relever ce challenge ? Quelles sont les actions que vous comptez mener pour continuer à vous attirer la préférence des consommateurs, notamment celle des Millennials ?
JML: C’est un long sujet et le rôle même de la DPA. Nous venons de commencer à investir aux Etats-Unis, en Inde et en Chine derrière notre plateforme de communication « Real is rare, real is a Diamond », qui met en avant la valeur symbolique (et monétaire) unique d’un produit rare, naturel vieux de plusieurs milliards d’années et éminemment authentique dans un monde de plus en plus virtuel et artificiel. Notre investissement mondial est à présent d’environ €60 millions. Par ailleurs, nous communiquons et allons renforcer notre effort sur l’impact positif de l’industrie. Après 10 ans de silence, nous nous organisons pour reprendre la parole car nous sommes convaincus que la promesse d’un diamant naturel de plusieurs milliards d’années, symbole d’amour, d’authenticité et de sincérité, n’a jamais été plus pertinente qu’aujourd’hui. En France, nous travaillons avec nos collègues du « Collectif Diamant » pour reprendre la parole, notamment auprès des médias.
TEIOFJ : Comment voyez-vous la répartition du marché entre les diamants naturels et synthétiques dans les années à venir ?
JML: Le marché des diamants de synthèse va continuer à évoluer et va s’établir comme un segment distinct, celui de la bijouterie fantaisie à bas prix. Dans le futur, le différentiel de prix entre diamant naturel et diamant synthétique ne cessera de se creuser. Il va s’établir, comme pour les pierres de couleur à 85% à 90%.
La demande de diamants naturels est forte et va continuer à augmenter, notamment en Inde et en Chine, alors que la production va stagner ou baisser dans les années qui viennent. Cela va soutenir les prix du diamant naturel.
Pour ce qui est du diamant synthétique, la baisse des prix va continuer de façon inéluctable, aussi sûr que la terre est ronde, car c’est une règle économique simple : le prix d’un produit industriel indifférencié fabriqué à des coûts de plus en plus bas et en quantités croissantes ne peut que baisser. Certains arriveront à valoriser le produit grâce à une marque forte, comme Swarovski par exemple, et créeront des collections attrayantes. D’autres essayeront de le positionner comme un produit de luxe, comme un diamant véritable, et nous sommes convaincus qu’ils échoueront à moyen terme car les consommateurs ne sont pas dupes et ils ne pourront pas différencier leur produit de produits identiques à bas coût venant d’Asie. D’autres, auront une approche volume à bas prix, comme Wal Mart aux Etats-Unis, et compteront sur des volumes importants du segment fantaisie à bas prix. C’est encore le tout début, mais c’est ce que nous anticipons.
*Selon le sondage OpinionWay réalisé pour DPA, 73% des Millenials trouvent que le diamant est la pierre précieuse par excellence.