« Ça fait quoi d’être en vie? » Question lancée à la volée, en face de Mike Horn, sauvé en Décembre dernier in extremis de son expédition en Arctique Pole2Pole qui pour la première fois depuis le début de ses aventures débutées en 1997, a failli y passer. Seules la chance et la discipline lui ont laissé la vie sauve. Confidences d’une force de la nature.
« Jamais je n’avais pensé pouvoir traverser le Pôle nord jusqu’à il y a 3 ans même d’avoir l’expérience de même penser pouvoir y aller… On essaie toujours de repousser ses limites et de progresser. Dans l’aventure et l’exploration on a un toujours les mêmes ambitions de vouloir repousser un peu plus ses limites. Aujourd’hui, je fais les choses beaucoup plus lentement car j’ai beaucoup moins de forces » commence l’homme qui a failli me briser 2 côtes en me faisant un hug à défaut de la bise pour limiter la propagation du COVID-19.
L’interview n’a pas encore commencé mais il continue, « quand je m’engage dans les expéditions, la seule option c’est d’arriver au bout autrement je suis mort. C’est un engagement personnel, le mental y joue à 100%. Je l’appelle The Rubicon, ce point de non-retour, au moment où le bateau part pour aller de l’autre côté de la terre te retrouver quand toi tu auras tout parcouru à pieds parcourir à pied à moins que … »
Assise en face de lui, buvant ses paroles, comme un coach qui te martèle en douceur que tu peux y arriver car tu es la seule maître de tes mouvements. A ce moment là, je pense à la petite ascension du Mont-Blanc qui m’attend au mois de Juillet prochain… qui pour lui doit sembler être une vague colline à grimper accompagnée d’une brise d’été.
Il continue, « tu dois avoir les couilles de te dire : oui je peux le faire. Tu sais que si tu fais une erreur, tu es mort. Tu dois aussi prendre la responsabilité que tout au long de ce parcours, personne ne peut te venir en aide! Et ça, tu le sais au départ. Bien entendu, en amont, on met toutes les informations dans une balance et on pèse le pour et le contre de chacune pour savoir si on va y arriver ou pas. » Allons-y…
ET COMMENT TU SAIS QUE TU VAS Y ARRIVER ?
– Mike Horn: Préparation, expérience et mental : ce qui semblait au départ impossible peut désormais l’être. Par exemple, tu sais que si tu prends un sac de couchage plus épais tu vas mieux dormir donc tu brûleras moins de calories. Si ta tente est un peu plus grande tu auras plus de confort donc tu rattraperas plus vite la fatigue. Tu sais que tu as besoin de 12’000 calories par jour dont déjà 2’000 pour tirer ta luge (un être humain normal en a besoin de 3’000 en moyenne). On prend 15 jours de nourriture en réserve – soit 20 kgs de nourriture au cas où on aurait un problème. Mais même en prenant cette marge, 15% en plus sur nos 100 jours d’expédition – nos réserves avaient été largement sous-estimées.
TU PARS DU PRINCIPE QUE TU ES PARE A TOUT JUSQU’A CE QUE TU NE LE SOIS PLUS. A QUEL MOMENT TU FAIS CE CONSTAT?
– Mike Horn: Je m’en suis rendu compte au fur et à mesure qu’on avançait. Au 36ème jour en arrivant au Pôle Nord, mon co-équipier Borge Ousland et moi-même avons réalisé qu’on avait 10 jours de retard sur le programme initial ce qui voulait dire qu’on avait consommé déjà 10 sur nos 15 jours de réserve. C’est ça qui allait faire toute la différence entre y arriver ou non.
LA SOLUTION POUR SURVIVRE ?
– Mike Horn: On est deux, on doit réfléchir ensemble en opposition à notre instinct. C’est à ce moment là qu’on trouve des solutions en se parlant mais peu car cela brûle des calories. Mais il fallait trouver la vraie bonne solution. Si on décide de diviser par deux nos rations, on devient plus faible plus vite a contrario, si on mange presque double, on va plus vite et on s’arrête un peu plus longtemps. Pendant Pole2Pole, les températures baissaient, il faisait nuit 24/24 il fallait donc changer notre horloge biologique. On est passés sur des journées de 30 heures de manière à gagner tous les 4 jours une journée de nourriture. Tes connaissances, ton expérience et savoir-faire qui te permettent de penser que tu peux aller plus loin et que tu peux y arriver. C’est seulement une fois que tu arrives à la fin que tu te rends compte que tu as été complètement con au départ. C’est uniquement grâce à de la chance que nous sommes arrivés vivants. Je croyais que j’avais l’expérience de faire cette expédition. Mais non.
QUELLE A ETE LA MOTIVATION POUR SURVIVRE ?
– Mike Horn: Je suis un homme discipliné. Quand tu n’as plus d’options et puis que tu dois marcher ou crever. Je ne crois pas au concept de motivation. La pensée positive, c’est ce que les américains ont inventé pour motiver les gens pour aller travailler. Ce n’est pas parce que je suis motivé que je vais sortir la tente, je dois le faire. C’est une discipline.
NON … EN FAIT TU ES UN ROBOT
– Mike Horn: Humm oui, je suis un robot ! Sauf qu’un robot ne décide pas toujours pour lui-même. J’ai toujours eu cette même discipline de me réveiller à 5 heures du matin pour m’entrainer. A -50 degrés, je me réveille 10 minutes plus tôt, car à cette température, mettre mes gants, lacer mes chaussures, plier la tente mettent beaucoup plus de temps… cette discipline me permet de faire des choses. Quand j’arrive à l’extérieur de la tente et que j’accroche la luge en me rendant compte que je suis 10 minutes en avance, j’ai gagné ! D’autres seront toujours dans leur tente en train de dormir. C’est comme cela que j’arrive à me motiver dans le moments les plus difficiles. Les petites batailles de gagnées…
A QUOI TU PENSES QUAND TU MARCHES DANS LA NUIT A -60°C ?
– Mike Horn: On vit près de la mort en permanence mais on ne pense jamais à mourir. Après tout on a deux options de vie. Celle où l’on choisit de marcher éloigné du bord, mais l’adrénaline n’est pas la même que celle où l’on marche en permanence au bord de la falaise. Chaque erreur si elle n’est pas fatale, est une leçon de vie. Si tu reproduis la même erreur, c’est que tu n’as pas compris ! Malheureusement l’erreur tu la payes cash car tu la payes avec ta vie. Dans l’Arctique, si tu mets la tente au mauvais endroit, que la glace casse, que tu tombes et qu’elle se referme : tu es mort. Si tu avances et tu ne sais pas que l’épaisseur de glace change tout le temps et si tu n’as pas la certitude que la glace peut supporter ton poids et celle de ta luge, c’est une erreur donc tu crèves.
EN QUOI CETTE DERNIERE EXPEDITION ETAIT LA PLUS DIFFICILE DE TOUTES ?
– Mike Horn: A tous les niveaux mais surtout à cause de la nature qui a changé trop vite ! J’ai été pris par surprise…
CETTE PROBLEMATIQUE DE LA GLACE – COMMENT AURAIT-ELLE ETE ANTICIPE ?
– Mike Horn: Impossible … La glace mesurait 2,5 mètres en 2006 aujourd’hui elle fait 5 cm d’épaisseur. Posée sur l’eau avec un peu de vent, ça dérive… et nous qui voulons marcher au nord, on peut marcher aussi vite qu’on veut, on recule !
SI C’ETAIT A REFAIRE ?
– Mike Horn: Jamais !
POURQUOI ?
– Mike Horn: Aujourd’hui j’ai vu, je sais. La glace fond et dérive beaucoup trop vite. On ne peut rien anticiper ni calculer.
TU ARRIVES A PRENDRE DU PLAISIR ?
– Mike Horn: Pas tout le temps et pas souvent mais le challenge m’en donne. Ce sont les dépassements de soi-même dans une journée quand tu prends la bonne décision qui t’aide à rester en vie. Il n’y a pas de hasard dans les décisions…
QU’EST CE QUI A CHANGE ENTRE AUJOURD’HUI ET IL Y A 15 ANS ?
– Mike Horn: Le physique ! Je suis devenu beaucoup plus faible, car je suis plus vieux alors que mes dernières expéditions m’ont emmené beaucoup plus loin en termes de dépassement de moi-même. Je fais les choses beaucoup plus lentement car j’ai beaucoup moins de forces mais je suis devenu plus résistant. Le mental a pris le dessus sur le physique.
TU SAIS QUE TU PEUX MOURIR A CHACUN DE TES PAS ?
– Mike Horn: C’est presque assuré que je vais mourir en expédition. Je pars à chaque fois pour surpasser mes obstacles pour vivre quelque chose jamais vécu.
EST-CE QUE LE TEMPS T’A DEJA STOPPE DANS QUELQUE CHOSE ?
– Mike Horn: Très souvent! Je mesure ma vie avec les secondes, les minutes, les jours et les semaines qui passent. La vie n’a en moyenne que 30’000 jours. Je ne peux pas perdre un jour. Et celui ci n’a que 24 heures. En expédition, chaque seconde est nettement plus importante qu’une minute passée à la maison. J’ai moins de rapport au temps dans la civilisation que quand je suis en train de grimper. Quand je monte à 8000 je sais que j’ai 24h dans cette zone de mort ou je dois rester vivant. J’ai 2 heures sans bouger à -40 pour rester vivant.
LA MONTRE DANS TOUT CELA ?
– Mike Horn: C’est ma vie ! Chacune des secondes me permet de me dire si je suis vivant ou mort. Quand je tombe dans l’eau, je compte. Et je sais que j’ai 5 minutes à vivre. Les rapports au temps c’est la seule direction dans la vie. L’heure donne la position du soleil et des étoiles. La montre ce n’est pas seulement quelque chose de joli, c’est mon seul instrument de navigation.
PANERAI ET TOI ?
– Mike Horn: On commence notre 20ème année ensemble! Ils me créent une montre en fonction de mes besoins, et seuls eux savent le faire. Panerai s’occupe de ce qui est joli, et moi je donne le cahier des charges : amagnétique doit être la première chose et en titane recyclé parce que light et résistant. Comme je dois rester vivant à -70 degrés, que le métal à cette température se rétracte, et que ma montre est mon seul instrument de navigation, c’est très simple, je leur dis « démerdez-vous ! »
TECHNIQUEMENT PARLANT, COMMENT ONT-ILS FAIT ?
– Mike Horn: Pour isoler le mouvement du froid, ils ont mis un double caisson dans la boite avec de l’huile entre les deux comme un double vitrage dans une maison d’hiver. Pour ce qui est des rouages, ils ont soustrait l’huile pour une sorte de carbone sec de lubrification dans la montre.
TU AS COMBIEN DE MONTRES ?
– Mike Horn: En vrai zéro sauf ma Panerai et la montre de mon père … son Oméga, que je ne porte pas. La seule chose que je rapporte de mes expéditions dans la vie de tous les jours c’est ma montre. Elle me connecte à ce que je fais.
COMMENT TU DEFINIS LA PERTE DE TEMPS ?
– Mike Horn: Quand tu tournes en rond ! C’est plutôt une perte de direction dans sa vie… Si tu sais ou tu vas, tu vas gagner du temps.
LA PROCHAINE EXPEDITION ?
– Mike Horn: Probablement moins engagée sur la durée mais pas nécessairement moins dangereuse. Ce sera dans les fonds marins. Après 15 tours du monde sur l’eau … je pense qu’il est temps d’aller non pas à 100m en apnée mais de partir en exploration à 11’000 mètres où tu peux passer 10 jours voire 10 mois sous l’eau.
TA VIE EN FAIT C’EST QUOI ?
– Mike Horn: C’est 32 jours à la maison en 5 ans, 11 expéditions en 23 ans, c’est 6 mois sur la glace en conditions extrêmes, c’est 3 mois en altitude, 2 ans dans la jungle… J’ai plus dormi dans une tente et un sac de couchage que dans mon lit ! Sinon c’est le coaching car c’est mon métier. J’ai fait des études de psychologie du sport, j’ai coaché l’équipe de foot d’Allemagne pour la coupe du monde au Brésil en 2014, j’étais avec les Indiens en 2011 pour coacher leur équipe de cricket, celle de rugby en Afrique du Sud ou encore au Dakar avec la RedBull team. Avec tout ça finalement, je me coache un peu moi-même. En revanche, je ne peux pas dire aux gens comment ils doivent vivre car donner une direction à quelqu’un c’est une forme de responsabilité.
LA PREMIERE CHOSE QUE TU AS FAIT EN RENTRANT DE POLE2POLE ?
– Mike Horn: M’asseoir sur une chaise ! Pendant 4 mois j’étais assis sur mon cul avec mes jambes au même niveau que mes fesses. Je veux faire couler l’eau du robinet et la boire au goulot parce que je n’ai fait que fondre la glace pour avoir de l’eau et parfois elle était salée !
LE CONCEPT DE LA RETRAITE ?
– Mike Horn: Inexistant ! C’est pour les gens qui ne savent pas où ils veulent aller après leur boulot.
SI DEMAIN, TU NE POUVAIS PLUS FAIRE D’EXPEDITION ?
– Mike Horn: Mon expérience vécue est le plus bel investissement que j’ai pu faire. Ce n’est pas quelque chose qui s’achète mais c’est la seule chose que je peux vendre.
L’EXPEDITION REVEE ?
– Mike Horn: Sur la lune, là où il n’y a personne !